Danielle HELME

 

Assangdant lignée rouge et liquide d'aïeux
qui circulent dans nos artères et nos veines.

Glossaire du ça

portrait

Au début du roman, on se croirait dans un film. Nous sommes au pied des Alpes et
Aubert « le radin », raide dans son cercueil, tient le rôle-titre. Il a rameuté du monde
dans l’église de la ville. En ouverture, panoramique vertical sur fond de musique de
Richard Strauss pour commencer, puis plan rapproché et gros plans sur les deux
seconds rôles : Véra, sa veuve qui « çt » et Anaïs sa fille qui n’a pas de souvenirs de son père.
Un peu plus tard, travelling dans le cimetière avant de multiples visées dans la brasserie
d’une zone commerciale où petits rôles et figurants : avocat, conseiller financier,
notaire, famille, amis, entourent les deux femmes.
Passé ce prologue, débute un flash-back qui narre la trajectoire en forme de descente
aux enfers que va vivre Aubert, cadre dirigeant dans une entreprise implantée en Côte-
d’Ivoire et contraint de rentrer précipitamment dans sa ville de Grenoble à la suite de
désordres politiques, fruits des turpitudes internationales que l’on sait. Ce n’est pas un
inconnu dans la région, ce radin-là : ses parents avaient pignon sur rue et il a hérité
d’une jolie propriété. Seulement voilà, les temps sont durs et les entreprises ne font pas
de sentiment. La sienne met en branle un processus inique bien rôdé dans le monde du
management-licenciement afin d’ « effacer » Aubert.
Celui-ci sait rebondir et comme il a quelques biens et une remarquable faculté
d’anticipation, il décide de les faire fructifier jusqu’à l’obsession. « Avare, depuis toujours,
sur le modèle de ses parents, il est soudain devenu radin. L’envie d’amasser l’accapare : un travail de
tous les instants, une monomanie qui est beaucoup plus qu’une marotte. Il serre les cordons de la bourse,
regarde à la dépense, rogne sur tout, se méfie de tous
. »
S’il parvient à se constituer un capital important et diversifié (investissements
immobiliers pour la sécurité et achat de lingots d’or « qu’il caresse doucement, éprouvant une
jouissance à les prendre à pleines mains
»), le voilà en butte aux misères du temps. Car
l’ennemi est partout. Les vendeurs de shit font la loi dans les zones semi-urbaines,
contribuant à l’érosion des placements juteux. Les municipaux, eux, usent de
stratagèmes machiavéliques pour « instrumentaliser les soutiens » dans un projet
écologique qui se révèle être une combine destinée à valoriser une fructueuse opération
immobilière sur un terrain ayant jadis appartenu rien moins qu’à la famille de Stendhal…
Quant aux hommes de loi, ils se meuvent avec aisance dans les arcanes complexes
d’une de ces scènes de la vie de province balzacienne en diable, où les vainqueurs du
jour peuvent devenir les perdants du lendemain.
Aubert, bien que détestable radin, force l’admiration par son aptitude à ne jamais
baisser les bras face à l’adversité. Mais à quel prix ? Car dans son entourage immédiat,
sa femme et sa fille proclament elles aussi leur droit à l’existence.
L’univers très noir que décrit avec justesse Danielle Helme est zébré de quelques
fugitives éclaircies : pique-nique amoureux entre époux dans le Vercors, escapades
extra-conjugales en Ardèche pour la femme délaissée au profit de l’or, découverte de
l’amour et résolution de conserver « l’esprit de ses seize ans » pour la fille… Elles donnent un
peu d’air dans ce roman oppressant et ô combien lucide dont les dialogues font mouche
et qui - performance remarquable - est entièrement écrit au présent de narration.
Toutes choses qui font que Le Radin est un livre qu’on ne peut plus lâcher sitôt qu’on l’a
ouvert.
(Danielle Helme : « Le Radin » Éditions de l’Amandier 369 p. 24 €)

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